Anouck Durand-Gasselin est une jeune artiste photographe, née en 1975 en Ardèche, diplômée de l’école des Beaux Arts de Toulouse. Il y a deux ans, elle part s’installer à Paris, et c’est précisément à cette époque qu’elle débute un travail avec le champignon, comme pour garder instinctivement un lien avec la terre.
À la Chapelle Saint-Jacques, sont présentées les dernières œuvres issues de cette recherche. Sous un tas de feuilles ou sur un pré vert et plutôt le matin. Tout commence par la cueillette des champignons. À son retour dans l’appartement parisien, l’artiste se presse de déposer les chapeaux des coprins, des russules, des clitocybes, des collybies beurrés, des mycènes et autres amanites sur une feuille de papier photo ou sur une plaque de verre, pour effectuer ce qu’elle nomme les Sporées. Sur la grande cimaise centrale, sont présentées 108 Sporées de Coprins noir d’encre, agencées de manière méthodique et orthonormée. Cette sélection est un aperçu d’une multitude d’images réalisées selon le même procédé, avec une rigueur quasi scientifique, où le geste de l’artiste disparaît au profit de l’aléatoire. L’artiste devient spectatrice, laissant le champignon faire œuvre : posé à l’horizontal, au centre du support immaculé, il dépose sa matière poudreuse ou liquide, par expulsion ou par liquéfaction, laissant une trace de matière en relief, c’est la sporulation, phénomène naturel, révélé ici par l’artiste. Dans l’absidiole, face à ces Sporées, dialoguent cinq photographies sur fond noir. Ces tirages sont une réponse de la photographe aux images : alors que les images se révèlent à la lumière du ciel parisien, les photos apparaissent dans l’obscurité du laboratoire. Elles sont une capture photographique des Sporées réalisées sur plaque de verre, prises en studio devant un fond noir.
Ces deux séries fonctionnent par opposition : les images sur fond blanc nous ramènent à l’horizontalité, au sol, à la terre, au monde souterrain invisible et microscopique, alors que les photos nous renvoient au contraire, à la verticalité, vers le ciel, le cosmos, un monde interstellaire imaginaire. Présentée à côté des photographies, dans le secret de la pénombre, Amanite phalloïde est un exemple de Sporée sur plaque de verre. Sortie de son écrin, elle fait illusion, semble exister par mimétisme avec ses voisines sur papier. Intrigante et flottante, Amanita phalloïdes attire le spectateur dans l’alcôve au parfum de mort. Tout au fond de la Chapelle, une vidéoprojection de Sporées permet à Anouck D-G d’investir un espace démesuré. Les spores microscopiques, sorties de leur tunique, deviennent planètes, étoiles, cratères, fleurs gigantesques ou silhouettes fantomatiques. Par le changement d’échelle, le spectateur est invité au voyage.
À l’instar des héros de Jules Verne* ou d’Alice**, il se trouve projeté dans un monde poétique imaginaire. Au sol, ponctuant le parcours, sont disposées les boîtes d’archivage des plaques de verre. Conçues tout d’abord pour ranger, classer, protéger et transporter les Sporées, les boîtes permettent également d’appréhender les œuvres à l’horizontale, telles qu’elles ont été fabriquées. La superposition des plaques, espacées à intervalles réguliers, propose une vision par strates et en transparence de plusieurs Sporées, une façon de placer l’image dans l’espace, de l’envisager en volume. D’une autre manière, la série des six Plutées couleur-de-cerf posées contre le mur, donnent cette impression 3D grâce à l’ombre portée de la Sporée sur le mur. * Jules Verne, Voyage au centre de la terre, De la terre à la Lune ** Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles